A la suite des grandes œuvres théologiques qui se sont succédées durant les dernières décennies du XXè siècle, Jürgen Moltmann poursuit aujourd’hui sa réflexion dans la foulée. Ainsi vient de paraître en 2010 : « Sun of righteousness, arise! God’s future for humanity and the earth » (1). Ce livre rassemble un ensemble de textes publiés par l’auteur durant la dernière décennie. Ce sont des chapitres facilement accessibles qui nous introduisent à la pensée de Moltmann dans son actualité.

Ce livre nous appelle à nous réjouir de ce qu’est le Dieu de Jésus Christ. Celui qui fait lever le soleil sur les bons comme sur les méchants est lui-même le « soleil de la droiture et de la justice » en sachant que la manière dont Dieu exerce la justice n’est pas la même que celle qui règne bien souvent chez les hommes.

Il y a dans ce livre une vision et une dynamique. Quel est l’avenir de l’humanité et de la nature ? Et comment allons-nous vers cet avenir que Dieu ouvre pour nous ? A une époque où les hommes sont confrontés à l’incertitude et où le christianisme est encore, pour une part, empêtré dans l’héritage de la chrétienté, cet ouvrage nous apporte le souffle d’une conviction issue du cœur de la foi chrétienne, qui se vit et s’exprime en phase avec les données de la culture contemporaine.

En quelques mots, un théologien pentecôtiste américain, Amos Yong, nous dit l’originalité de cette vision : « L’étonnante fécondité théologique de Jürgen Moltmann continue à se manifester dans cette œuvre nouvelle, une vision chrétienne de l’avenir, centrée sur Dieu, le règne de Dieu et la justice de Dieu. Moltmann essaie ici d’apporter les éléments bibliques, historiques et théologiques d’une vision chrétienne du monde, particulièrement en regard de notre compréhension contemporaine de la nature et d’un univers en évolution. Ancrée dans la résurrection de Jésus, cette vision affirme que Dieu est le Dieu de la promesse de résurrection, qu’il est présent dans la justice et la droiture. Jésus incarne cette justice, et la nature peut être considérée comme le lieu où Dieu œuvre pour l’accomplissement de la vie » (en couverture).

Le livre s’articule en quatre grandes parties : 1) L’avenir du christianisme. 2) Le Dieu de la résurrection : la résurrection de Christ, la résurrection du corps, la résurrection de la nature. 3) Dieu est droiture et justice. 4) Dieu dans la nature.

L’avenir du christianisme.

Après avoir revisité l’histoire, notamment à partir de son contexte personnel en terre allemande, Moltmann met l’accent sur le traumatisme engendré par la première guerre mondiale et les conséquences qui s’en sont suivies : les grands massacres commis par l’Allemagne hitlérienne et l’Union Soviétique. Il est sensible au contraste entre l’accent sur le progrès mis au XIXe siècle et l’époque tourmentée qui a suivi.

Il traite ensuite de l’Eglise dans ses références théologiques successives : le paradigme hiérarchique, le paradigme christocentrique, le paradigme charismatique. Ces différentes phases se recouvrent d’ailleurs pour une part dans l’histoire courante. Moltmann met en valeur la reconnaissance croissante de l’œuvre accomplie par le Saint Esprit dans la réalisation d’une Eglise « participative ». De surcroît, l’Eglise est appelée à s’inspirer de la communion d’amour qui est présente dans le Dieu trinitaire.

Cependant, l’Eglise n’est pas une fin en soi. Elle a reçu une mission qui est d’œuvrer pour la réalisation du projet de Dieu, pour l’avènement du Royaume de Dieu. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans le monde. « Quiconque révère le Christ, révère en lui toutes les choses créées ». « La terre est remplie de la gloire de Dieu » (Esaïe 6.3). Toutes les choses ont été créées pour qu’elles puissent devenir la maison commune de tous les êtres créés, la demeure éternelle de Dieu » (p.31). Cet avenir est l’espérance de l’Eglise et elle a pour mission de contribuer à sa réalisation.

Le Dieu de la résurrection.

Dans le monde d’aujourd’hui, confronté aux menaces que l’on sait, la résurrection est une dynamique d’espérance. La résurrection de Jésus est le fondement de la foi chrétienne. Sans les événements que les premiers chrétiens ont rapporté sous le terme de résurrection, « il n’y aurait pas de Nouveau Testament, ni d’Eglise, ni de christianisme, ni de connaissance au sujet de Jésus de Nazareth. (p.39). Après avoir traité des circonstances historiques de cet événement, Moltmann en montre la portée décisive. « Le non-être a été annihilé, la mort a été abolie, le péché, la séparation d’avec Dieu, a été vaincu et l’enfer détruit » Ces victoires sur le négatif sont les bases d’une dynamique positive qui est indestructible. L’être l’emporte sur le non-être. Un être nouveau émerge » (p.57).

A l’encontre des représentations platoniciennes, la résurrection du corps manifeste l’œuvre de Dieu dans notre réalité de créature corporelle. Et c’est toute la création, toute la nature qui est appelée à entrer dans la victoire de Christ sur la mort, dans une vie renouvelée.

Dès aujourd’hui, nous sommes appelés à participer à la lutte de la vie contre la mort. « L’origine de la foi chrétienne est la victoire de la vie divine sur la mort. « En lui, était la vie, et la vie était la lumière des hommes » nous dit Jean en parlant de Jésus (Jean 1.4). L’évangile de Jean exprime une théologie de la vie…. C’est, je crois, ce qui devrait être au cœur du message chrétien au XXIe siècle. Jésus n’est pas venu créer une nouvelle religion. Il apporte une nouvelle vie dans le monde, le monde moderne aussi » (p.77). Dès maintenant, « avec la résurrection de Christ, la purification de la terre, du péché et de la mort, a commencé déjà aujourd’hui » (p.80). Comme l’écrit Bonhoeffer, théologien et résistant au nazisme, « le Royaume de Dieu est le royaume de la résurrection sur terre » (p.81).

Dieu est droiture et justice.

Pour comprendre le dessein de Dieu dans toute sa dimension de plénitude, de justice et de miséricorde, il est nécessaire de s’interroger sur notre représentation de Dieu. L’approche historique développée par Moltmann est particulièrement éclairante.

Il montre comment dans les grands empires du passé, il y eu une correspondance entre : un Dieu, un roi, un empire. Il décrit le patriarcat tel qu’il fonctionne dans l’empire romain dans les termes du « pater familias ». Le père de famille avait un pouvoir quasi absolu sur les membres de la famille, et notamment sur sa femme. Dans ce contexte, l’empereur a été lui même révéré comme un père tout puissant. Le double concept romain de Dieu comme Seigneur et Père a influencé la représentation chrétienne de Dieu. « Mais qu’est ce que ce Dieu patriarcal a-t-il en commun avec le mystère de la relation de Jésus avec son Père énoncé en terme de « papa » (« abba » !) (p.90). Le Dieu de l’Exode s’est lui-même opposé à la théocratie égyptienne. Moltmann montre les ambiguïtés et les travers d’un monothéisme rigide et il nous propose en regard la conception et l’expérience d’un Dieu trinitaire comme communion d’amour. Dans cette approche, il rejoint la pensée juive concernant la présence de Dieu dans la « Shekinah ». Dieu a habité parmi son peuple et l’a accompagné dans ses vicissitudes.

Moltmann nous rappelle l’inspiration biblique selon laquelle Dieu défend et soutient les pauvres et les opprimés. Dieu est ainsi un Dieu qui apporte la justice. Il nous montre comment la justice du Dieu d’Israël se distingue de la conception de la justice qui prévaut dans l’ancienne Egypte. Il évoque la scène égyptienne du jugement des morts en terme d’examen sur une balance des bonnes et mauvaises actions qui se traduit en récompenses et châtiments et suscite une destinée en terme de paradis ou d’enfer. Dans l’histoire des mentalités, cette conception d’une justice comptable et punitive a contaminé certaines représentations chrétiennes. Cela a engendré la peur. « Ce Dieu là n’a rien à voir avec Jésus de Nazareth, le prédicateur du sermon de la montagne, celui qui a guéri les malades et pardonné les péchés » (p.134).

Dieu est un Dieu de justice qui vient au secours des victimes. « Les victimes attendent une justice créative de Dieu qui leur apportera la liberté, la santé et la nouvelle vie. Ils attendent non pas un jugement fondé sur les œuvres, mais un jugement prenant en compte leurs souffrances… Christ ne se manifeste pas comme un vengeur, mais comme celui qui sur la croix et dans sa résurrection, a remporté la victoire sur le péché, la mort et l’enfer … La justice créative de Dieu apporte la justice aux victimes et elle redresse et transforme les coupables » (p.135-137). Le jugement de Dieu ne fixe pas le péché et la mort. Il n’est pas tourné irrémédiablement vers le passé. Il est au service de la nouvelle création.

« Lève-toi, o Dieu, juge la terre. Car toutes les nations t’appartiennent » (Psaume 82.8). C’est une invocation en faveur d’un monde nouveau. Tous les travers actuels doivent être réparés pour que la création nouvelle puisse s’établir dans la justice. « C’est l’attente de la glorification universelle de Dieu qui comprend la réconciliation universelle des êtres humains et le renouvellement de toutes choses dans une création nouvelle et éternelle » (p.141). Cette vision est libératrice. Elle exclut la division entre les amis et les ennemis, les croyants et les incroyants, les uns étant supposés aller au paradis et les autres en enfer. « Dieu a renfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous » (Rom 11.32). « Nous devons respecter tous les êtres humains qu’ils croient ou ne croient pas comme ceux à qui Dieu a fait miséricorde. Quels qu’ils soient, Dieu les aime. Christ est mort pour eux comme pour nous et l’Esprit de Dieu œuvre dans leur vie » (p.144). Dieu est un Dieu de grâce.

Dieu est aussi un Dieu trinitaire, communion d’amour. Ce n’est pas un monarque solitaire dans les cieux qui assujettit tous les êtres. Ce n’est pas non plus une force implacable et impavide. Non, le Dieu trinitaire est un Dieu relationnel, une communion d’amour. Et, dans cette perspective, c’est une communauté non hiérarchique. Moltmann consacre un chapitre à cette réalité bienfaisante. « J’ai appelé la communauté unifiante, intégrante et accueillante du Dieu trinitaire : « Trinité ouverte », loin des anciennes images d’une Trinité fermée en terme de cercle et de triangle » (p.157) Cette communauté induit une expérience de l’Eglise en terme de communauté ouverte.

Dieu dans la nature.

Comment pourrions-nous ignorer que l’humanité s’inscrit dans la nature et ne pas nous interroger sur le rapport entre Dieu et la nature ? On a pris conscience aujourd’hui que la vie même de l’humanité dépend de la sauvegarde de la nature par rapport aux méfaits de l’homme à son égard. La vision de Moltmann concernant la création contribue au développement de notre conscience écologique.

Moltmann montre comment une représentation de la subordination du corps à l’âme de l’homme est allée de pair avec la subordination de la nature à l’homme. En regard, il nous présente une vision de la création. La représentation de la nature comme création de Dieu s’est autrefois exprimée dans l’idée que Dieu s’adressait à nous à travers deux livres : la Sainte Ecriture et le « Livre de la Nature ». Moltmann nous décrit l’état actuel du monde comme une «  création continue » dans laquelle Dieu maintient et protège ce qu’il a créé dans une situation où il y a tension entre l’ordre et le chaos. Il nous montre un monde en mouvement, en route vers un avenir nouveau.

« L’immanence de l’Esprit divin lui-même transcendant est la fondation et la puissance motrice pour une auto transcendance de tous les systèmes ouverts de la nature et de la vie et de toutes les forces humaines de vie dans l’histoire…Dieu en création fait de la création un monde ouvert à l’avenir… Le but est la réalité future dans laquelle Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28) … L’immanence de l’Esprit transcendant est aussi la fondation et la puissance motrice de l’évolution de la vie vers des formes et des synthèses plus complexes et plus riches…. Ce qu’on appelle l’auto-organisation de l’univers n’est rien d’autre que la résonance de l’univers en réponse à l’immanence de l’Esprit de Dieu qui le conduit… » (p.207).

Ce regard nous invite à entrer dans la dimension d’une spiritualité en phase avec l’œuvre de Dieu dans la création.

« L’Esprit de Dieu en toutes choses… C’est ce qui fait du monde dans lequel nous vivons, un monde spirituel. Notre spiritualité humaine doit s’y adapter. Elle doit entrer en résonance avec une spiritualité cosmique. Elle doit devenir une spiritualité dans l’Esprit de la Pentecôte où les sens sont éveillés et le cœur attentif. Ce ne sera seulement une spiritualité de l’âme, mais aussi du corps. Dans une spiritualité écologique, nous découvrirons la louange de la terre… » (p.108) (2).

Aujourd’hui, une culture nouvelle est en train d’apparaître à travers le monde. Les enfermements et les sectarismes sont remis en cause. Des interrelations se développent à vive allure. Dans son livre : « Sun of righteousness, arise ! », Jürgen Moltmann est en phase avec ce nouveau paradigme holistique, écologique. Face aux incertitudes et aux menaces, par delà les contradictions héritées de la chrétienté, il répond avec pertinences aux questionnements et aux aspirations qui montent aujourd’hui. Dans toute la cohérence de son cheminement

théologique, sa réponse est l’espérance. Dans le mouvement de la résurrection de Christ, nous participons à l’avenir que Dieu prépare pour l’humanité et la terre. Dans ce livre, Jürgen Moltmann nous présente un Dieu qui œuvre constamment pour la réalisation de sa justice et la victoire de sa bonté. Ce Dieu trinitaire est mouvement et relation. C’est un Dieu de vie. Ce livre nous introduit dans une dynamique de vie.

Jean Hassenforder

(1) Moltmann (Jürgen). Sun of righteousness, Arise! God’s future for humanity and the earth . Translated by Margaret Kohl. Fortress Press, 2010. Première édition en Allemagne en 2009
(2) Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique. Anthologie réalisée par Jean Bastaire. Cerf, 2004
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