Les voies de la résurrection

Résurrection en vie éternelle
Mourir et ressusciter
Selon Jürgen Moltmann

Les questions sur la  vie et sur la mort sont pour nous essentielles. Elles concernent la manière dont nous envisageons notre existence. Mais nous nous posons ces questions essentielles, tout autant et parfois davantage pour nos proches.
Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous a apporté des réponses libératrices au moment d’un deuil profond (1). Et ce fut, à travers son livre : « In the end, the beginning » (2004 version anglaise), traduit en français sous le titre : « De commencements en recommencements » (2012) (2) (vii). Nous avons rapporté à plusieurs reprises cet apport (3). Aujourd’hui, Jürgen Moltmann revisite ces questions  dans un livre : « Resurrection to eternal life. On dying and rising » (2021) (4).

Il nous décrit ainsi son parcours : « Depuis la publication de mon livre, « Theology of hope » en 1964 (1967 version anglaise), j’ai souvent abordé en termes théologiques, la signification de la résurrection du Christ pour notre vie dans ce monde et notre espérance dans la vie éternelle dans le monde à venir… Cependant, quand ma femme Elizabeth, est décédée en 2016, mon intérêt dans ce domaine est devenu intensément personnel et j’ai été obligé de repenser ma position théologique » (p vii). Cette nouvelle réflexion est présentée sous forme d’un essai, car « elle associe histoire personnelle et témoignage biblique avec mes propres expériences, ce qui n’était pas possible dans un texte académique » (p vii).
Jürgen Moltmann nous fait part de ses intentions : « J’ai essayé d’apprendre ce qu’est la peine et le chagrin, ce qu’est le bonheur partagé, un bonheur qui ne s’évanouit pas et j’ai essayé d’imaginer comment nos vies entières telles que nous les avons vécues, peuvent renaitre ( reawaken), après la mort. J’ai réfléchi à la mort et à la renaissance d’une âme vivante. Nous mourrons en résurrection et la vie éternelle est la vie du monde à venir » (p viii)
Jürgen Moltmann rompt avec une tradition mortifère. Ce travail ne vise pas à proposer un « ars moriendi », un art de mourir,  mais plutôt de préparer le lecteur à la résurrection dans la plénitude de vie, ce que nous appelons : la vie éternelle, un « ars resurgendi » ( un art de ressusciter. Nous pouvons pratiquer « l’ars moriendi » une fois tandis que nous pouvons pratiquer « l’ars resurgendi » à travers toute la vie que nous vivons. Chaque nouveau commencement est une résurrection. Dans ce livre, je souhaite apporter réconfort et espérance, un sentiment d’assurance dans les services mémoriels ». (p vii).
Il nous paraît difficile de rapporter ce livre dans son cheminement personnel en terme de compte-rendu. Nous recommandons cette lecture et pour y inviter nous présentons ici la traduction (approchée et non professionnelle) d’un choix, évidemment subjectif, de passages  éclairants et suggestifs.

 

Une seconde présence

Peut-on vivre après la mort d’un enfant bien aimé ou d’une partenaire chérie ? Pour beaucoup de gens, c’est une question de vie essentielle.

Nous faisons l’expérience de mourir, mais pas de la mort elle-même. (même les expériences de mort imminente se situent dans la vie avant la mort dont on ne revient pas). C’est seulement quand des êtres aimés meurent que  nous faisons l’expérience de la mort. Nous faisons l’expérience de leur mort à travers notre amour pour eux et pour leurs vies…. Comment allons-nous vivre cette vie sans eux ?… Pour ceux d’entre nous laissés en arrière pour continuer à vivre après la mort de nos bien aimés, cela nous aide si nous pouvons croire  et sentir leur seconde présence dans le monde invisible qui environne le monde que nous voyons. Cependant cela ne soulage pas notre chagrin…. (p 1-2)

 

La vie éternelle

Cela nous aide de parler de vivacité (liveliness), de vitalité éternelle plutôt que de vie éternelle. Cela déplace l’accent vers l’intensité plutôt que la longévité de l’expérience. … Le temps chronologique n’a rien à voir avec l’éternité de l’expérience, mais plutôt seulement avec la mort de la vie. Un moment de vrai contentement est comme un atome d’éternité et sa lumière est comme une lueur vacillante (« flicker) de vie éternelle. Quand nous sommes heureux, nous disons que le temps s’est arrêté (« time stands still »). C’est l’amour qui rend la vie vivace (« lively) et peut transformer notre joie en vie vivante. Le plaisir que nous  prenons en aimant et en vivant nous conduit à rechercher une plénitude de vie et à l’appeler : vie éternelle. …

Si nous regardons au delà du sombre horizon de la mort, vers l’aube de la nouvelle journée de Dieu , c’est la naissance de toutes ces choses que nous aimons qui nous remplissent de vie. Nous accueillons  chaque nouveau matin à la lumière de la « brillante étoile du matin » (bright and morning star) comme le proclame un cantique… » (p  3).

 

Christ ressuscité

Les apôtres et les femmes ont parlé du Christ ressuscité « des » morts. De telles exceptions n’étaient pas prévues par les attentes prophétiques, mais elle n’a pas été considérée comme une exception, mais plutôt comme le commencement de la résurrection générale des morts…. La résurrection des morts,  de Jésus, n’a jamais été considérée comme une résurrection individuelle, mais plutôt universelle comme la mort est universelle pour l’homme mortel.  « Car, comme tous meurent en Adam, ainsi tous seront rendus vivant en Christ (1 Cor 15.22). Les icônes de Pâques de la tradition orthodoxe montrent le Christ ressuscité prenant la main d’Adam avec sa main droite et celle de Eve avec sa main gauche pour les sortir tous les deux de leurs tombes. Ainsi, avec Adam et Eve, le Christ sort l’humanité du « royaume de la mort » pour l’amener à la lumière de la vie éternelle. La mort du Christ sur la croix a été solitaire… Sa résurrection est un acte collectif, inclusif qui embrasse l’humanité  entière et toute la création – un événement cosmique, le commencement d’une nouvelle création de toutes choses » (p 13).

 

Fraternité avec Jésus

Quand nous mettons notre foi en « Jésus le Seigneur », nous pensons ainsi au Dieu d’Israël dans l’Exode – « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor 3.17) et au Dieu descendant prendre résidence en Israël dans la Shekhinah, plutôt qu’à une domination politique ou une dominance masculine. Le Seigneur, « notre Dieu », est complètement différent des seigneurs de ce monde. Les  croyants ne vivent pas sous la domination (« dominion ») du Christ comme des esclaves, mais plutôt dans la domination du Christ comme sœurs et frères de leur frère « premier-né » (Rom 8.29). La « domination du Christ est la « grande étendue »  (« great expanse ») de la liberté et le sens de la sécurité dans laquelle la vie mortelle peut se développer et fleurir. Même sur  nos lits de mort, il y a un réconfort dans la fraternité (« fellowship ») du Christ, car le ressuscité est présent jusque dans la mort. Le Christ accompagne le mourant à travers la nuit de la mort jusque dans la vie éternelle. (p 21)

 

Une résurrection immédiate

Dans le livre : « Coming of God. Christian eschatology » paru en anglais en 1996, j’interprétais le règne du Christ comme « la promesse du Royaume de Dieu ». A cette époque, j’acceptais le concept de mise en réserve eschatologique  (« eschatological reservation ») de Ernst Käsemann plutôt que de transformer cette idée négative dans un concept positif d’ « anticipation eschatologique »….Je le comprenais comme signifiant que « les morts  sont morts et pas encore ressuscités, mais ils sont déjà en Christ et avec Lui sur le chemin du futur . Quand Il apparaitra dans la gloire, ils seront à ses côtés et vivront éternellement avec Lui ». Ce que je comprenais  alors comme une « promesse » s’appliquant au futur, je le vois aujourd’hui comme « un réel commencement ». En 1995, je rejetais une « résurrection dans la mort », car cela me paraissait trop individualiste. Maintenant ma position a changé, car j’accepte cette position. Au lieu de regarder du présent au futur qui doit  encore passer, je regarde du futur au commencement du présent. Notre résurrection en vie éternelle est inhérente à notre fraternité avec le Christ…. (p 37)

 

Un éveil à la vie éternelle

A la différence de Jésus, à la mort, notre corps se désagrège rapidement ou bien nos cendres sont dispersées sur la terre.

Ce n’est pas notre corps qui est ressuscité de la tombe, mais c’est l’entièreté de notre vie vécue qui est ressuscitée en  vie éternelle à l’heure de la mort…. Notre heure de mort est l’heure de notre résurrection. Quand nous mourrons, nous nous éveillons à la vie éternelle….  (p  25-26).

 

Au Ciel

Dieu est au Ciel et le Ciel est là où l’amour de Dieu coule. Le « Ciel » est ainsi liée symboliquement avec la sécurité et avec la bénédiction qui viennent de Dieu…. Quand les décédés sont au Ciel, ils sont dans un monde invisible. Ils sont dans une sorte de présence seconde avec leurs histoires de vies entières et leurs âmes conscientes. Nous pouvons nous rappeler leurs histoires et être assurés qu’ils sont là, même quand nous continuons à vivre. Nous pouvons vivre consciemment avec eux. Dans les cultures asiatiques, les ancêtres ne sont pas considérés comme morts. Les descendant vivent ensemble avec leurs ancêtres. L’espérance chrétienne de la résurrection nous mènent à ne pas regarder en arrière vers nos aïeux comme point d’unification, mais plutôt à regarder à notre future unification dans le royaume de Dieu (p 40)

 

Une vie nouvelle

Dans la présence du Christ ressuscité, la vie est perçue comme une nouvelle création .« Toute chose ancienne est passée. Voyez.  Toute chose est devenue nouvelle » (2 Cor 5.17). Voilà comment nous pouvons imaginer l’éveil (« awakening ») d’une personne décédée à l’aube d’une nouvelle vie. Mais l’entièreté de la vie est éveillée pour se lever à nouveau. Ainsi nous pouvons anticiper non seulement le commencement d’une nouvelle vie, mais aussi la rectification de cette vie et de tout ce qui a été blessé et détruit à l’intérieur. La vie est guérie en entier. A la lumière de cette étoile brillante du matin, de  cette lumière de la lumière sans commencement, notre entière histoire de vie sera présente et rectifiée (put to right) (p 60).

 

Spiritualité

Comme le mot spiritualité le suggère, celle-ci concerne un être humain animé par l’Esprit de Dieu. Si un individu s’attend à l’Esprit pour sa vie intérieure, une « spiritualité de l’âme » émerge qui doit être comprise comme la relation de chaque individu à lui-même ou à elle-même. Si « l’Esprit est déversé dans nos cœurs », comme Paul l’écrit dans Romains 5.5, il suscite une piété du cœur. Si l’Esprit est déversée « sur toute chair », comme c’est annoncé dans les Actes des apôtres 2.17, en accord avec le prophète Joël, cela crée une spiritualité de la « vie vécue » (lived life). En ce cas, la puissance de l’Esprit n’est plus seulement « religieuse », mais une force de vie. Si l’Esprit est présent en toutes choses, comme le Psaume 104.30 l’implique, alors c’est une « spiritualité cosmique ». La spiritualité répandue de la vie intérieure, n’est seulement qu’un petit canal pour accéder à la grande puissance de l’Esprit divin créateur , peut-être le commencement de la rédemption de la vie avec toutes les créatures de la terre » (p 53-59).

Jean Hassenforder

 

  1. Une vie qui ne disparait pas : http://vivreetesperer.com/une-vie-qui-ne-disparait-pas/
  2. De commencements en recommencements : https://lire-moltmann.com/de-commencements-en-recommencements/
  3. La vie par delà la mort : https://www.flickr.com/photos/haute_savoie/51124792421/in/faves-184609705@N06/ Sur la terre comme au ciel : http://vivreetesperer.com/sur-la-terre-comme-au-ciel/   Par delà la séparation. Un témoignage de Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/par-dela-la-separation/
  4. Jürgen Moltmann. Resurrected to Eternal Life. On dying and rising. Translated by Ellen Yutzy Glebe. Fortress Press, 2021