« L’espérance et le Dieu crucifié. La réception de l’œuvre de Jürgen Moltmann dans la théologie francophone » par Rodolphe Gozegba-de-Bombèmbè

En décembre 2021, vient de paraître aux Editions l’Harmattan, un livre intitulé : « L’espérance et le Dieu crucifié. La réception de l’œuvre de Jürgen Moltmann dans la théologie francophone » (1). C’est la publication de la thèse soutenue il y a un an, le 10 décembre 2020, à l’Institut Protestant de théologie, par Rodolphe Gozegba-de-Bombèmbè (2).

En introduction, l’auteur rappelle le message de vie et d’espérance de Moltmann lorsque celui-ci fonde sa théologie sur la résurrection à partir de laquelle s’ouvre un processus eschatologique. Ainsi nous pouvons regarder vers le futur comme vers un début : « le début de la vie éternelle, le début de la nouvelle création de toute chose, le début de la gloire de Dieu ». « Ces mots », nous dit-il, « suscitent en nous une nouvelle aspiration. Ils ouvrent les perspectives d’une libération et l’espérance d’un avenir meilleur ». Ici, Rodolphe Gozegba évoque son parcours : « Je suis centre-africain.  Mon pays a connu pendant les années 2012 à 2014 une grande guerre civile avec beaucoup d’exactions et de massacres d’innocents. Le pays était alors dans une situation désastreuse et l’économie exsangue. Le désespoir m’avait envahi. Je venais de terminer mon master 2 en théologie systématique à la Faculté de théologie systématique de Bangui (FATEB) et cherchait désespérément à  comprendre ce qui se passait et comment entrevoir une issue au conflit d’alors. Les ouvrages de Jürgen Moltmann m’ont été d’une aide précieuse dans cette démarche. Ils me présentaient un Dieu d’espérance, attentif à nos problèmes, et même à nos côtés dans les moments difficiles » (p 15).

Rodolphe Gozegba, ayant pu poursuivre ses études de théologie en France, il a donc choisi d’y découvrir la théologie de Moltmann (3) et de réaliser une thèse sur la  réception de l’oeuvre de Jürgen Moltmann dans la francophonie.

 

La réception francophone de la théologie de Moltmann : Une thèse, un livre   

Dans l’introduction du livre, l’auteur rappelle les évènements qui l’ont incités à se tourner vers l’œuvre de Moltmann et le commencement de ses études en France en passant en 2015 un master de théologie à l’institut Protestant de Théologie. « Le sujet de sa recherche commence à se préciser ». Il choisit de s’attacher à l’étude de l’œuvre de Moltmann. Mais comment va-t-il l’aborder ? « Mon projet initial était d’entrer en dialogue avec l’œuvre de Moltmann pour en dégager les ressources théologiques requises pour faire face à des crises politiques, économiques et morales comme celles que la République Centre-africaine a connu lors de la guerre civile. Ce projet demeure le mien, mais je vois aujourd’hui sa réalisation comme un objectif à long terme de mon étude. L’objectif plus limité de ma recherche, que je conçois comme une phase préparatoire de ce projet à long terme, est d’examiner l’impact de la pensée de Moltmann sur la théologie contemporaine d’expression française » (p 17-18).

 

La réception francophone de la théologie de Moltmann : une thèse, un livre 

Le thème de sa thèse et de ce livre qui en est issu est donc la réception francophone de la théologie de Moltmann. Rodolphe Gozegba nous expose sa méthodologie. « En étudiant les lectures de Moltmann proposées par des théologiens catholiques ou protestants d’expression française, j’ai fait le choix de limiter mon enquête à des travaux publiés… Malgré un accès limité à certains ouvrages épuisés, j’ai pu disposer d’un assez large éventail de publications d’auteurs francophones. Au terme de la recherche bibliographique menée pour identifier les textes qui formeraient le corpus de mon étude, j’ai constaté que les commentateurs francophones de l’œuvre de Moltmann se concentraient massivement sur deux ouvrages relativement anciens : « Théologie de l’espérance. Etudes sur les fondements et les conséquences de l’eschatologie chrétienne » (1964  trad.fr. 1970) et « Le Dieu crucifié. La croix du Christ. Fondement et critique de la théologie chrétienne »  (1972 trad. fr. 1974) (p 18).

En deux parties : Dieu de l’espérance et : Dieu crucifié, l’auteur présente donc les textes des théologiens francophones ayant commenté l’œuvre de Moltmann. Cette présentation est substantielle si bien qu’on découvre ainsi leurs approches et leurs points de vue  en pouvant se référer à certains extraits de leurs textes. Voici donc les éléments d’une réflexion plurielle sur ces deux livres de Moltmann.    Le préfacier, Marc Boss, maitre de conférences à l’Institut protestant de théologie (Paris), apprécie ce recueil : « La thèse offre un précieux panorama de la riche variété des lectures francophones de la pensée de Moltmann dans la phase initiale de son développement : variété confessionnelle et théologique d’abord, variété géographique et culturelle ensuite, variété des points de vue individuels enfin que le commentaire met particulièrement en valeur. C’est une qualité de la thèse qu’il convient à mon sens de souligner : attentif à la singularité de chaque lecture, le commentaire évite d’enfermer les auteurs discutés dans le cadre fermé de leurs appartenances ou de leurs obédiences respectives. L’approche se veut essentiellement descriptive, replaçant chaque lecture dans son propre mouvement argumentatif et dans sa cohérence interne ». (p 12). A la fin du livre, après un double constat concernant le contexte et la dimension existentielle de la pensée de Moltmann, Rodolphe Gozegba met en relief  « six axes thématiques : la centralité de l’eschatologie, l’insistance sur la mort de Dieu en Jésus, l’importance de l’histoire, le rôle socio- politique de l’Eglise, le dialogue avec Barth sur l’eschatologie,  l’amitié avec Bloch et Metz » (p 319).

Rodolphe Gozegba a eu l’excellente idée de publier, en annexe du livre, le texte d’une conférence de Jürgen Moltmann sur « le futur de la théologie », prononcée le 20 octobre 2017, à l’Institut protestant de théologie. Cette conférence traduit en effet le mouvement d’une pensée dans la poursuite de son développement et une ouverture vers  l’avenir. Si Jürgen Moltmann aborde là un tournant écologique et un tournant pneumatologique, c’est le fruit d’une pensée qui a réalisé des avancées majeures dans ces domaines dès la fin du XXè siècle (4). Malheureusement, en comparaison du champ anglophone, il y a eu très peu d’échos à ces avancées dans le champ de la théologie francophone. Ainsi, le préfacier suggère que dans la poursuite de sa recherche, Rodolphe Gozegba étende l’étude de Moltmann aux écrits plus récents jusqu’ici négligés dans la réception francophone » (p 13).

 

Perspectives africaines

Ce livre porte sur la réception de l’œuvre de Moltmann dans la théologie francophone.  Si on peut regretter que le deuxième mouvement de cette pensée théologique : le renouvellement de la théologie trinitaire, l’affirmation de la personnalité et de la dynamique de l’Esprit saint,  une théologie écologique de la Création, ait été méconnu dans l’espace francophone, le premier mouvement, celui des années 1960 et 1970 a trouvé, quant à lui, un accueil favorable. Rodolphe Gozegba nous montre le retentissement d’une pensée qui a ouvert une nouvelle perspective. Son livre et une ressource majeure pour approfondir cet apport. Cependant, si cette pensée a été bien accueillie en France, elle a suscité également des échos dans le contexte africain. Dans sa préface, Marc Boss, nous rapporte que, lors de la soutenance, Rodolphe Gozegba « a rappelé que cette thèse est pour lui une « phase préparatoire » d’un projet de recherche à plus long terme ». Rodolphe Gozegba souhaite en effet contribuer au développement d’une théologie en phase avec l’Afrique. Mais, dès maintenant, il peut écrire : « L’analyse des commentateurs francophones de Moltmann m’a apporté énormément sur le plan personnel, me laissant entrevoir de nouvelles perspectives pour mon pays et pour le continent africain qui voit son peuple confronté à de graves souffrances » (p 330).

Rodolphe Gozegba  énonce les apports privilégiés de la théologie de Moltmann pour l’Afrique en trois orientations : une théologie de l’immanence, une théologie de l’humain, un message de libération. « Moltmann  nous présente un Dieu immanent, un Dieu présent, un Dieu miséricordieux à l’écoute des humains et qui les soulage de leur fardeau….. La théologie de Moltmann place l’humain au centre même de l’amour de Dieu.. Quand l’humain souffre, Dieu ne l’abandonne pas, mais vient vers lui pour le sauver… Tout au long de notre étude, nous avons vu que Moltmann et ses commentateurs francophones ne cessent de souligner les interactions entre Dieu et l’humain par l’existence de relations entre Dieu et le monde, l’Eglise et la société, le spirituel et le temporel…La théologie de Moltmann proclame un message de libération. Lui-même ne manque pas de relever le caractère essentiel de cette affirmation en disant que s’il devait réécrire aujourd’hui son ouvrage : Théologie de l’espérance, il l’intitulerait : Théologie de la libération. Pour nous, c’est inciter à l’action les responsables politiques, l’Eglise et les chrétiens…. La mission de l’Eglise n’est pas seulement spirituelle, mais aussi sociale. Elle doit se sentir appelée à jouer un rôle « prophétique » dans la société, à être la « voix » des faibles, des laissés pour compte, des pauvres… » (p 330-331).

Dès lors, « c’est le temps d’agir pour l’Eglise ». Trop souvent, « il n’y a pas de lien entre les messages reçus dans les Eglises et la politique mise en œuvre dans les cités. L’Eglise reste fermée sur elle-même, elle délivre des messages, mais ceux-ci restent confinés en son sein et ne sont pas externalisés…Eu égard au principe de laïcité, une juste séparation des pouvoirs « permet à chaque entité de voir ou s’arrête et où commence sa liberté ». Moltmann franchit les barrières, ouvre une porte qui permet aux chrétiens de tous les temps de voir dans la politique un atout, une possibilité d’agir concrètement » (p. 332).

En conclusion, Rodolphe Gozegba rappelle une déclaration de foi de Moltmann : « Dans la fin, un commencement ». « A l’Eglise et aux théologiens de se tourner vers le commencement ».

Jean Hassenforder

 

  1. Rodolphe Gozegba-de-Bombembè. Préface de Marc Boss. L’espérance et le Dieu crucifié. La réception de l’œuvre de Jürgen Moltmann dans la théologie francophone. L’Harmattan, 2021. 360p
  2. Exposé de soutenance de la thèse de Rodolphe Gozegba, le 10 décembre 2020 : https://lire-moltmann.com/lesperance-et-le-dieu-crucifie-la-reception-de-loeuvre-de-jurgen-moltmann-dans-la-theologie-francophone/
  3. Découverte de la pensée de Jürgen Moltmann par un doctorant en théologie : https://lire-moltmann.com/decouverte-de-la-pensee-de-jurgen-moltmann-par-un-doctorant-en-theologie/
  4. Pour une vision holistique de l’Esprit : https://lire-moltmann.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/