Ce texte a été rédigé par Marie Reine Caselani, chrétienne catholique à Strasbourg. Il rapporte sa découverte personnelle de l’œuvre de Jurgen Moltmann à la suite d’un dialogue avec Rodolphe Gozegba, pasteur à la paroisse protestante d’Illkirch

Je ne connaissais pas Jürgen Moltmann, n’avais même jamais entendu prononcer son nom !

Je l’ai découvert grâce à Rodolphe Gozegba, jeune doctorant sur « les réceptions de la théologie de Moltmann dans le monde francophone » et ma vision du monde et de Dieu a changé.

Rodolphe à qui sa rencontre avec la théologie de Moltmann a permis de surmonter le désespoir engendré par de graves exactions commis dans son pays natal, la Centrafrique, en 2013, veut désormais transmettre le message d’espérance donné par Moltmann, à l’Afrique et plus spécifiquement à ses compatriotes.

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41lk2Tz99hL._SX329_BO1,204,203,200_.jpgJe suis la première à avoir pu bénéficier de cette transmission. Les semaines de confinement pour cause de coronavirus m’ont de surcroit laissé l’opportunité et le temps de me plonger dans certains livres de Moltmann et notamment celui écrit en 2012 Intitulé De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance, édité par l’Empreinte Temps présent, pour m’imprégner plus profondément de ses idées et me laisser interpeler par elles.

Ses idées sont parfois tellement étonnantes – ou peut être tellement nouvelles pour moi qui ne suis pas théologienne – que je pose quelques minutes le livre pour y réfléchir et les méditer avant de poursuivre. Elles me paraissent tellement répondre à nos questions d’actualité que comme Rodolphe, je souhaiterai les partager avec un maximum de personnes dans l’espoir qu’elles seront comprises et mises en œuvre immédiatement.

Mais qu’ai je donc retenu de la théologie de Moltmann qui me pousse à vous le partager ?

Moltmann, né en 1926, est aujourd’hui un monsieur très âgé. Mais il continue à parcourir le monde pour répondre à de multiples demandes de conférence sur sa théologie. Lui même raconte qu’après avoir été professeur universitaire une grande partie de sa vie, il a été mis à la retraite. Il a d’abord pensé que sa carrière était désormais derrière lui et se désolait de devoir prendre « un repos » auquel il n’aspirait aucunement. Il s’est heureusement vite repris, s’engageant dans une nouvelle voie professionnelle qui allait l’amener à expliciter sa théologie à travers le monde. Il est ainsi devenu le modèle même de  l’une de ses idées forces : « Toute fin est le début d’un recommencement ».

 

La vie est une suite de fins et de recommencements. Aucune fin, aussi dure soit-elle, ne doit nous abattre car de cette fin, va jaillir un nouveau commencement.

Moltmann a mis des années à saisir cette réalité et à l’exprimer clairement, mais une fois qu’il l’avait intégrée, elle l’a accompagné tout au long de sa vie.

Sa méditation sur le sujet a commencé dans le désespoir. Alors qu’il servait dans l’armée allemande à Hambourg, sa ville natale, celle-ci a fait l’objet, sans discontinuation, dans la dernière semaine du mois de juillet 1943, de bombardements qui ont tué plus de 40 000 personnes et ont complètement anéanti la ville. Prisonnier de guerre de 1945 à 1948, il a commencé à lire une bible que lui avait donné un aumônier militaire. Le cri de Jésus « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » le toucha au plus profond de son cœur et lui qui jusqu’à présent n’était pas croyant, commença à se tourner vers Jésus ; Il comprit que la mort de jésus sur la croix, aussi horrible qu’elle fût, était bien une fin mais était surtout le commencement de quelque chose de nouveau, de quelque chose qui s’avèrera encore plus beau qu’avant.

Il appartient à chacun de nous de saisir cette idée force au plus profond de nous même, de ne pas nous laisser abattre par le désespoir par une fin honnie et de nous tourner volontairement vers ce recommencement qui suit obligatoirement toute fin.

 

Les théologies de l’espérance et du Dieu crucifié

Moltmann, d’abord pasteur puis enseignant à l’Université de Tübingen, est aujourd’hui mondialement reconnu, notamment par les deux livres qu’il a écrit en 1964 et 1972 et qui l’ont immédiatement, dès leur traduction, projeté vers une reconnaissance internationale : la Théologie de l’Espérance et la Théologie du Dieu crucifié.

Par sa Théologie de l’Espérance, Moltmann prône un Dieu présent à côté de nous, non pas un Dieu immanent loin de l’humanité, mais un Dieu qui descend vers les hommes pour les accompagner, les soutenir, être à côté d’eux dans leur vie quotidienne et également dans leurs épreuves.

Ce n’est pas un Dieu lointain qui observe le mouvement des hommes de loin mais un Dieu proche qui vit à nos côtés, prêt à nous écouter. Un Dieu aimant comme un père, proche de ses enfants et partageant avec eux les difficultés surgissant sur leur chemin.

Comment ne pas être séduite par ce Dieu qui nous a déjà montré son Amour absolu en sacrifiant son fils unique pour nous et qui maintenant se trouve auprès de nous, demandant simplement que nous tournions la tête vers lui et acceptions de nous plonger dans sa tendresse !

Moltmann nous lance un cri d’Espérance sans faille vers ce Dieu qui se tient toujours à nos côtés. Y adhérer, le reconnaître ne peut que nous mener vers une vie de Joie.

Selon la Théologie du Dieu crucifié, Dieu nous a tellement aimé qu’il a permis que son fils unique se sacrifie pour nous. Jésus a connu des souffrances horribles sur la croix. Mais Dieu, son père qui l’a envoyé, ne l’a pas regardé souffrir mais a souffert comme et avec Lui.

Il est même mort avec Lui.

Cette hypothèse étonnante et difficilement compréhensible émise par Moltmann pourrait laisser entendre que pendant un laps de temps – court ou long, personne ne le sait – Dieu était mort… L’humanité était sans Dieu…

Moltmann a évidemment été très fortement critiqué sur sa Théologie du Dieu crucifié, les catholiques par exemple ne pouvant accepter la mort de Dieu qui par son essence même est immortel.

Même si l’on ne partage pas l’analyse de Moltmann sur le Dieu crucifié, il va sans dire qu’elle appelle à la réflexion et que de ce fait même, elle apporte un renouveau théologique et spirituel à ceux qui se sont penchés sur cette méditation.

Moltmann insiste également fortement sur le thème de la résurrection et base d’ailleurs l’intégralité de sa théologie sur celle-ci. La résurrection par sa victoire sur la mort est un élément fondateur sur lequel s’appuie toute sa réflexion. Sans la résurrection, la foi et l’espérance seraient en errance. Les disciples ont été transformés par la résurrection ; nous le sommes à leur suite.

Selon ses propres dires, Moltmann est aussi le théologien de la libération, affirmant récemment que s’il devait réécrire la Théologie de l’Espérance, il l’appellerait plutôt la Théologie de la libération.

Oui, l’Espérance en Dieu, le fait de savoir qu’il est à côté de chacun d’entre nous, qu’il nous soutient dans la traversée de nos épreuves doit nous permettre, à nous les humains mais encore plus à l’Eglise qui le représente sur terre, de se sentir assez forts pour entrer dans un agissement politique et défendre les valeurs prônées au sein de l’église devant le monde extérieur.

Chaque humain est l’égal de l’autre humain. Chacun est un enfant de Dieu et a la même valeur à ses yeux. Aucun ne doit pouvoir dominer l’autre par la force ou les richesses.

Avec Dieu comme compagnon, chacun doit pouvoir accéder au respect de sa personne, à la dignité, à la liberté.

D’après Moltmann, il est l’heure pour les Eglises de jouer leur rôle politique. Elles ne doivent plus rester passives dans les murs de leurs églises, mais sortir pour répandre la Bonne Nouvelle et interpeler les politiques sur les valeurs qu’il leur appartient de défendre. Si chaque chrétien osait s’imprégner de ce message et le suivre, le monde pourrait rapidement en ressentir les effets bénéfiques…

Moltmann m’a permis d’avancer dans ma vie : il m’a ouvert les yeux sur un Dieu bienveillant et attentif à l’humanité. Que souhaiter de plus fort dans une vie que d’avoir un tel ami à ses côtés, un ami qui ne juge jamais et est toujours disponible pour nous, qui nous aime d’un amour tellement fort qu’aucun amour humain ne peut se comparer à lui, un ami qui nous attend pour vivre l’Eternité avec Lui.

Mon Dieu, j’essaie de t’aimer aussi, j’essaie de mériter ton amour !

Moltmann m’a conduite vers l’Espérance, un petit mot, même s’il a 11 lettres, mais qui fait bondir vers l’Eternité. Ce mot m’accompagne tout au long de la journée : il me permet de relativiser les petits soucis du quotidien et d’affronter les grandes épreuves qui se présentent. Il doit pouvoir être partagé et devenir source d’espoir pour toute l’humanité.

Mais Moltmann m’a également impressionnée par ses réflexions, peut-être théologiques mais que je n’ai pas retenues comme telles, sur certains aspects de notre vie quotidienne sociétale. Je pense notamment à son développement sur la recherche du jeunisme dans le monde occidental : chacun veut rester jeune et dépense parfois beaucoup d’argent pour se donner l’illusion qu’il n’a pas vieilli. Les personnes âgées, poliment appelées les seniors, ne sont plus respectées comme elles devraient l’être, sont régulièrement rejetées par la société et elles même sont d’ailleurs souvent les premières à se dénigrer et à penser qu’elles n’ont plus rien à accomplir sur terre.

Or Moltmann est totalement opposé à cette conception ; ce n’est pas l’âge qui définit l’homme, mais ses projets. Que l’on soit jeune ou plus âgé, on ne connaît pas le temps qui nous reste à vivre. Les occasions de créer ou de grandir sont à notre portée à tout moment et doivent être saisies. Il appartient à chacun, quel que soit son âge, tout en profitant des expériences du passé, de se tourner vers son avenir, de se fixer de nouveaux objectifs et de se lancer dans de nouveaux projets.

Fort de cette idée que l’avenir appartient à ceux qui s’en emparent, Moltmann a, après avoir pris sa retraite en tant que professeur à l’Université de Tübingen, engagé une nouvelle carrière de conférencier à travers le monde. Il dit : « Il est vrai que plus le temps passe, plus on vieillit, mais quant à l’avenir, il est possible de rajeunir si on accepte ses défis. »

Il dit aussi : « L ‘avenir appartient-il à la jeunesse ou l’avenir rend-il jeune ? ». C’est beau, n’est-ce pas ? Et combien régénérant pour tous ceux qui pensent que chaque fois qu’une nouvelle ride s’imprime sur leur visage, leur futur est de plus en plus compromis. En réalité, l’avenir appartient à chacun d’entre nous;

A nous de le réaliser !.