Dans le chemin de l’histoire, un processus de résurrection.

Comment nous représentons-nous notre existence dans le temps ? Comment nous inscrivons-nous dans l’histoire ? Et comment envisageons-nous celle-ci ? La réponse à ces questions nous permet de mieux situer le fait central de la résurrection dans la manière dont nous nous représentons le déroulement de notre vie et de notre société. La pensée de Jürgen Moltmann nous permet d’avancer dans cette réflexion.

Une vision de l’histoire

Quels sont les présupposés de la science historique ? Moltmann nous répond en ces termes : « il n’y a de sciences historiques qu’aussi longtemps que la réalité est expérimentée comme histoire. La réalité n’est expérimentée comme histoire qu’aussi longtemps qu’on perçoit le temps. Ce temps n’est perçu qu’aussi longtemps il existe une différence entre le passé et l’avenir » (p 327).

Et, en même temps, le passé et l’avenir ne sont pas des univers séparés, mais au contraire des réalités en interaction. « S’il n’y a plus d’attente d’expériences à venir, alors disparaissent également le souvenir d’expériences faites. S’il n’existe plus d’expériences dont on se souvient, alors disparaissent également les attentes. Souvenir et espérance sont les conditions qui permettent qu’il y ait des expériences de l’histoire » (p 327).

C’est bien ce qui se passe dans la foi juive et chrétienne. Ainsi « L’expérience de l’histoire » qui est celle d’Israël a été ouverte par la foi en la promesse… La promesse de Dieu est comme un horizon qui accompagne le monde et vers lequel on marche ». La vie d’Abraham, l’exode hors d’Egypte témoignent de cette vision. Les religions ‘historiques’, issues de l’histoire d’Abraham, sont orientées vers l’avenir. Les promesses particulières « visent au delà d’elles-mêmes la présence de Dieu lui-même qui vient, le royaume de la gloire, la création nouvelle. « Sa gloire remplit toute la terre » (Esaïe 6) (p 329).

« Les évènements du monde humain et naturel s’inscrivent dans le temps du fait de cet horizon d’attente. On peut les considérer comme « des moments d’un processus qui visent au delà d’eux-mêmes ». Et par ailleurs, on ne se représente plus le passé comme définitivement clos, sans suite. « Nous ne posons plus la question de l’avenir pour les morts, mais celle de l’avenir de la vie vécue par ceux du passé (p 332). Le fil ne se rompt pas. « L’historien manque le passé s’il se contente de poser la question de ce qui a réellement été », et s’il ne parvient pas à prendre en compte la réalité passée dans la dynamique inspirée par les attentes. « La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser les prospectives passées. Ainsi il sera possible d’articuler ensemble les espérances brisées, omises ou étouffées de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure avec le projet d’avenir présent » (p 332).

Jürgen Moltmann résume cette vision de l’histoire en ces termes : « Ce que nous appelons passé « historique » est de l’avenir passé. Ce que nous appelons présent « historique » est de l’avenir présent. Ainsi comprise, « l’histoire » est l’histoire d’un avenir, qu’il s’agisse d’une personne humaine, d’une société humaine, d’un peuple, de l’humanité dans son ensemble ou des rapports entre la culture humaine et la nature terrestre » (p 332).

Le processus de la résurrection

Parmi les religions ‘historiques’, issues de l’histoire d’Abraham, l’originalité du christianisme « consiste dans la signification centrale du Christ, et au coeur de cette signification, dans sa mort et sa résurrection » (p 330).

Cette foi en la résurrection a été parfois détournée dans une attention individuelle à un au delà, une manière d’échapper à la « vallée de larmes ». Mais, une telle foi en la résurrection n’est pas chrétienne, car, « entre la résurrection des morts, qui est attendue dans la transcendance, elle oublie la présence du Christ ressuscité dans l’Esprit de la résurrection qui donne la vie ».

Dans la vision de l’histoire que Jürgen Moltmann nous a proposée, nous reconnaissons que « la résurrection du Christ mort parle de l’avenir de cet homme passé et que l’espérance en la résurrection de tous les morts qui y est fondée, attribue également à ceux du passé, un avenir qui y correspond …La résurrection des morts ne dit pas seulement du passé qu’il est ouvert à l’avenir, elle parle également d’un avenir pour ceux du passé et renverse ainsi l’orientation du temps. Ce n’est pas la mort qui a le dernier mot dans l’histoire, mais la justice de Dieu : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21.5) (p 331).

Cette vision éclaire notre engagement dans l’histoire. « Voir l’histoire dans la perspective de l’avenir signifie participer dans l’Esprit au processus de la résurrection. Croire en la résurrection ne s’épuise pas dans le fait d ‘acquiescer à un dogme et de prendre connaissance d’un fait de l’histoire, mais fait participer à un acte créateur de Dieu » (p 333). Et la manière dont la résurrection s’est opérée nous révèle un Dieu qui est à l’opposé de la personnification du pouvoir romain ou des lois telles que le reflète le cosmos grec. « Dieu est alors la puissance vivifiante qui rend riches ceux qui sont pauvres, qui élèvent ceux qui sont abaissés et qui ressuscite les morts » (p 333). Ce Dieu là est un Dieu de libération. « L’annonce de la résurrection du Christ est une affirmation qui a sens dans l’horizon de l’histoire qu’elle-même a ouverte et qui est celle de la libération des hommes et des créatures qui soupirent des puissances de l’anéantissement et de mort » (p 333). Cette oeuvre est en cours.

« Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8.11). Jürgen Moltmann nous parle de la résurrection en terme de processus. « Ce processus a son fondement dans le Christ, sa dynamique est celle de l’Esprit et son avenir est celui de la création corporelle nouvelle de toutes choses » (p 334). C’est donc une réalité qui n’indique pas seulement l’avenir, mais qui est en cours aujourd’hui et qu’on peut donc reconnaître. « La formule de « la vie donnée » aux corps mortels » indique que l’expérience de la résurrection ne se réfère pas à une autre vie, mais au fait que cette vie mortelle devient autre ». Dans l’Esprit, la résurrection n’est pas seulement attendue, mais elle est expérimentée. La résurrection advient tous les jours. Dans l’amour, nous faisons l’expérience de beaucoup de morts et de résurrections…. » (p 334)

La résurrection proclame une critique radicale de tout ce qui, dans ce monde, mène à la mort. « Le jugement libérateur prononcé sur l’existence vouée au monde du péché, du pouvoir et de l’avoir est le commencement de l’insurrection vers la vie véritable » (p 335). Mais, « bien plus encore », elle doit être considéré « comme l’anticipation de la vie éternelle pour ceux qui meurent ». La résurrection est une dynamique. « Elle inscrit les espaces d’expérience de l’histoire sous l’horizon d’attente de la création nouvelle » (p 335).

« Dans la communion en Christ, nous ressentons des avant-goûts et des anticipations du Royaume de Dieu qui vient »..  « Nous participons à des expériences qui sont « des paraboles du Royaume de Dieu en train de venir » (Sur ce site : « La puissance de l’espérance »)

Cette vision des rapports entre histoire et résurrection est éclairante parce qu’elle nous permet, individuellement et collectivement, de nous situer dans un processus et de mieux reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans le cours du temps. Ce discernement s’applique à nos vies personnelles en pensant à notre histoire familiale, et en nous percevant comme des êtres engagés dans des projets et portés par eux. Cet éclairage nous permet de regarder différemment notre environnement social et de percevoir l’œuvre de l’Esprit dans la société. En Christ ressuscité, dans l’Esprit, nous sommes en marche.

Jean Hassenforder

Source : Le chapitre : « Résurrection du Christ et histoire. Le problème historique » p 324-339)
Dans : Moltmann (Jürgen). Jésus, le Messie de Dieu. Cerf, 1993.