Communion d’amour. Puissance de vie.

Dans quelle mesure avons-nous conscience de l’œuvre de Dieu bien au delà de notre existence personnelle et de notre environnement immédiat social et culturel ? La Parole biblique nous appelle à élargir notre regard aux dimensions de l’univers. Avec le théologien Jürgen Moltmann, nous pouvons entrevoir Dieu à l’œuvre dans la création et nous découvrons que tout procède à partir d’une vie relationnelle.

Dieu, communion d’amour.

Dieu n’est pas un monarque absolu à la manière des potentats des grands empires de l’antiquité dont l’image s’est projetée sur les dieux de cette époque et, par contagion, dans la confusion des pouvoirs politiques et religieux, sur une conception de Dieu, perçue aujourd’hui comme en complet désaccord avec l’Evangile annoncé par Jésus et incarné par lui. Celui-ci nous présente la réalité de Dieu comme une communion d’amour : « Je suis dans le Père et le Père est en moi », nous dit-il (Jean 14.11). « Moi et le Père, nous sommes un (Jean 10.30). »[1] Ainsi Jürgen Moltmann voit en Dieu : « Une communauté éternelle du Père, du Fils et de l’Esprit Saint » se manifestant à travers une « inhabitation réciproque, une interpénétration » (p.31). Ainsi, « dans le Dieu trinitaire, il y a la réciprocité et l’échange de l’amour » (p.31). C’est à partir de cette plénitude que Dieu s’est engagé dans son œuvre de création. « Dans la surabondance libre de son amour, le Dieu éternel sort de lui-même et crée le monde, une réalité qui est là comme lui-même et qui diffère néanmoins de lui » (p.30).

Dieu présent dans la création.

Le monde ne se confond pas avec Dieu, ni Dieu avec le monde, mais le monde est animé par Dieu. « Dieu crée le monde et entre en même temps en lui. Il l’appelle à l’existence et, en même temps, se manifeste lui-même à travers cette existence. Le monde vit de sa force créatrice et il vit dans le monde… Le Dieu transcendant le monde et le Dieu immanent au monde sont un seul et même Dieu » (p.29). Ainsi Dieu n’est pas un Dieu lointain qui a créé l’univers une fois pour toute et le considère de l’extérieur. « Dieu n’est pas seulement le créateur du monde, mais aussi l’Esprit de l’univers. Grâce aux forces et aux possibilités de l’Esprit, le créateur demeure auprès de ses créatures, les vivifie, les maintient dans l’existence et les mène dans son royaume futur » (p.28). Dans cette proximité, on comprend les paroles de Jésus lorsqu’il évoque la puissance de la vie et appelle à la confiance (Luc 12.22-31) : « La vie est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ». Dieu nourrit les oiseaux du ciel et fait croître le lis des champs.

Dieu suscite la communion.

Si l’être intime de Dieu est la communion d’amour qui se manifeste dans le Dieu trinitaire, l’Esprit Saint porte et suscite cette communion. Dans notre regard sur l’univers, nous percevons aujourd’hui l’importance primordiale des relations. Tout se tient. « Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre » (p.25). L’Esprit divin est présent dans cette réalité. « En Dieu, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 1.28). L’Esprit Saint suscite « une communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » (p.24). A l’encontre de toutes les forces contraires, le projet de Dieu est l’harmonie entre les êtres : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général » (p.25). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action. « Etre vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… » (p.15).

La participation des hommes à l’œuvre de Dieu.

Une perspective écologique.

Si, sous l’influence d’un modèle impérial, Dieu a pu être considéré comme un maître omnipotent, alors l’homme a suivi cette image pour imposer sa domination à la nature. Mais, « si nous comprenons Dieu d’une façon trinitaire, comme l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit, nous comprenons son rapport avec le monde comme une relation communautaire » (p.15). Les hommes peuvent alors s’inscrire dans cette approche. Selon le sens du mot grec, écologie signifie la « science de la maison » (Oikos). Or justement, dans la vision d’un Dieu trinitaire, « le mystère interne de la création est la présence, l’habitation de Dieu par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures ».

Si aujourd’hui, le monde est encore exposé aux forces de mort, au terme du processus de libération déjà engagé, il est appelé à devenir pleinement la « maison de Dieu ». Dans le même esprit, la participation des hommes à ce mouvement doit se traduire dans « une relation détendue de l’homme et de la nature, que l’on désigne par la réconciliation, la paix et une symbiose capable de survivre. A l’inhabitation de l’homme dans le système naturel de la terre correspond à son tour l’inhabitation de l’Esprit dans le corps de l’homme par laquelle est supprimée l’auto aliénation des hommes » (p.9). La communion d’amour en Dieu trinitaire entraîne une dynamique relationnelle : « Dieu dans le monde et le monde en Dieu ; ciel et terre dans le royaume de Dieu pénétrés de sa gloire ; corps et âme unis en une totalité humaine dans l’Esprit qui donne la vie ; femme et homme libérés pour une existence vraie et totale dans le royaume d’un amour inconditionnel » (p. 32).

Dans cette vision « écologique » de la création, Jürgen Moltmann nous appelle également à privilégier une « pensée nouvelle communicative et intégrante » (p.16). « On ne veut plus connaître pour dominer, plus analyser et réduire pour reconstruire, mais on veut connaître pour participer et pour entrer dans les relations réciproques de l’être vivant » (p.15). Ce nouveau regard engendre un mode de vie nouveau. « Une pensée de l’intégration et de la totalité favorise l’accord nécessaire et vital de l’homme et de la nature, où l’on entend par « nature » aussi bien le monde environnant naturel que la vie du corps humain (corporéité) » (p.15).

En marche !

Dans l’épître aux romains, on entend que « la création toute entière souffre encore des douleurs de l’enfantement » (Rom. 8.22). Mais la résurrection de Christ a remporté la victoire décisive sur le mal et la mort et initié un processus de libération qui débouchera sur une nouvelle création. « La première création hors du chaos a été comme une résurrection, et la résurrection annihilant le pouvoir de la mort est comme une nouvelle création. Dieu qui ressuscite les morts est le même Dieu qui « appelle à l’existence les choses qui n’existent pas » (Romains 4.17). Le Dieu qui a ressuscité Jésus est le créateur d’une existence nouvelle de tout ce qui est créé » (Sun of righteousness, arise ! p.67). « La résurrection est le premier acte de la nouvelle création de ce monde transitoire en une forme nouvelle, vraie et durable ». Dieu renouvelle la terre. « Le royaume de Dieu est le royaume de la résurrection sur terre. Pour tous ceux qui espèrent en la résurrection, cela exige fidélité et respect vis à vis de la terre et un amour pour elle comme on s’aime soi-même. La terre est la scène dans laquelle le Royaume de Dieu est en train de venir et la résurrection est l’espérance de la terre » (Sun of righteousness, arise ! p.72). Jürgen Moltmann nous présente une « conception du monde à la lumière de Jésus le Messie et sous les points de vue du temps messianique qui a commencé avec lui et qui a été marqué par lui. Il tend vers la libération des hommes, la pacification de la nature et la délivrance de la communauté de l’homme et de la nature, des puissances du négatif et de la mort » (p.17). Ainsi nous sommes en chemin et, déjà, nous pouvons percevoir des préfigurations de cet « avenir de la création ».

Ce sera « une communauté que les traditions messianiques du judaïsme et du Christianisme ont défini comme « la sympathie de toutes les choses » : le lien de l’amour, de la participation, de la communication et des relations réciproques règle la vie de la création réunie dans l’Esprit cosmique… » (p.18).

Dieu dans la création : communion d’amour, puissance de vie. Dieu avec nous aujourd’hui et demain.

Jean Hassenforder.

Source
Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 ( renvoi des citations aux pagination)
Moltmann (Jürgen). Sun of rightneousness, arise ! God’s future for humanity and the earth. Fortress Press, 2010

[1] Il est important de souligner cet ancrage biblique face à l’objection que la vision relationnelle du Dieu trinitaire prônée non seulement par Moltmann mais par beaucoup d’autres théologiens contemporains n’est qu’une projection de notre préférence actuelle pour des structures démocratiques.