La vision de Jürgen Moltmann dans « Ethics of hope »

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Approches pour une méditation

« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos » (Mat 11.27) . Cette parole de Jésus est précédée par une affirmation de sa communion avec le Père : « Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. Personne non plus ne connaît le Père si ce n’est le Fils ». Et de même, dans l’Evangile de Jean, lorsque Jésus évoque la paix qu’il nous communique : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » (Jean 14.27), le contexte est bien celui de l’amour de Dieu, communion entre le Père, Jésus et l’Esprit. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui » (Jean 14.26). Et c’est « le consolateur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom qui vous enseignera toute chose (Jean 14.26) Ainsi, notre aspiration à recevoir la paix divine trouve réponse dans la reconnaissance de l’œuvre accomplie par Dieu, communion d’amour et dans la contemplation de ce qu’il est. Jürgen Moltmann consacre la dernière partie de son livre concernant « l’éthique de l’espérance » : « Ethics of hope » (1) dans la version anglaise parue en 2012, à la joie en Dieu (2). Nous allons alors le suivre dans la vision qu’il nous communique en évoquant l’œuvre et la manifestation de Dieu dans le monde.

La joie en Dieu

« L’éthique chrétienne », nous dit Moltmann, est l’aboutissement de la venue de Christ dans ce monde et une anticipation de l’avenir, une attente du monde nouveau vers lequel il nous conduit (p 229). « Dans l’éthique chrétienne, nous ne nous servons pas de Dieu pour changer le monde, mais nous changeons le monde pour nous réjouir de Dieu, comme le dit Augustin » (p 229). Nous ne devons pas nous servir de Dieu, mais entrer dans son œuvre et ainsi le glorifier et jouir de sa présence. Mais comment pouvons nous réjouir alors que le monde peut nous paraître très dur ? « Comment puis-je chanter quand je suis dans une terre étrangère ? » (p 229). Moltmann répond ainsi : « Je crois qu’au milieu d’une vie faussée, il y a déjà une vraie vie, car sinon nous ne serions pas sensible du tout à la fausseté. Comment pourrions-nous ressentit l’humiliation de la captivité si nous ne savions pas quelque chose de la liberté ? » (p 229). Quand la liberté approche, les chaînes commencent à tomber » (p 230). A l’aube, l’obscurité commence à se dissiper. « Quand nous expérimentons la puissance de Dieu, la vie se manifeste en nous et nous résistons à la puissance de la mort ». (p 230).  La paix de Dieu n’est pas un idéal inaccessible. Elle n’est pas cantonnée dans un avenir lointain. « Elle est là immédiatement dans nos cœurs et dans le mystère du monde » (p 236). Jürgen Moltmann va nous parler de cette paix en trois temps : « le repos du Sabbat ; la jubilation de la résurrection à Pâques ; la paix au milieu du conflit ».

Le Sabbat : la fête de la création.

« Suivant le premier récit de la création dans la Bible, la création du monde se termine le sixième jour : « Et Dieu regarda tout ce qu’il avait accompli et voilà, c’était très bon (Genèse 1.31). Et cependant, le septième jour, Dieu acheva le travail qu’il avait commencé (Gen 2.2). Qu’est-ce que Dieu a ajouté ainsi à la création déjà réalisée ? Qu’est-ce qui manquait à cette création ? (p 231. La réponse est surprenante : « L’achèvement de la création réside dans le repos du Créateur. Celui-ci est source de la bénédiction et de la sanctification du septième jour de la création ». Le Créateur prend du recul, contemple son œuvre. « Dieu regarda tout ce qu’il avait fait » (Gen 1.31). La seconde étape est une forme de détachement. « Dieu se reposa le septième jour de tout le travail qu’il avait fait «  (Gen 2.2). « Ce repos en lui-même communique la paix à tout ce qu’il a créé » (p 231).

En regard de l’agitation dans laquelle les hommes se trouvent souvent, Jürgen Moltmann tire un enseignement du mouvement de Dieu. « Le plaisir de Dieu dans da création suscite la joie de ceux qu’il a créés…. Dieu n’est pas seulement créateur. Il se repose aussi. iI ne parle pas seulement. Il écoute également. Il ne donne pas uniquement. Il reçoit aussi… ». Ainsi, Dieu bénit le septième jour, non à travers quelque chose qu’il fait, mais à travers son Être » (p 232). «  Tu nous as fait pour toi et nos cœurs ne trouvent pas de repos jusqu’à ce qu’ils trouvent le repos en toi », écrit Augustin.

« Ce repos », nous dit Moltmann, « nous pouvons le trouver sur la terre dans le temps du Sabbat où l’Eternel est présent dans son repos et où ceux qu’il a créés, peuvent le recevoir si eux-mêmes en viennent à se reposer » (p 233). Cette bénédiction n’a pas été conférée au peuple choisi, ni à la terre promise, mais au Sabbat, jour universel de la création. Dans le Sabbat, le temps et l’éternité se rejoignent. Le Sabbat est le moment mystique, le « présent de l’éternité » (p 233)

Ainsi ce jour est associé à la fois à la création et à la rédemption. « Dans le temps du Sabbat, « le temps de la mort est oublié et le temps de la vie éternelle est perçu ».

Le Sabbat n’est pas seulement le jour du repos, mais aussi le jour où les hommes n’interviennent plus à travers leur travail dans l’environnement naturel. « Alors leur regard change. Les choses ne sont plus considérées pour leur utilité ou pour leur valeur pratique. Elles sont perçues avec émerveillement pour leur valeur en tant qu’être » (p 233). L’environnement est lui-même reçu comme la résultante de la création de Dieu. Nous devenons également conscients de nous-mêmes, corps et âme, comme étant création de Dieu et son image sur terre. Nous sommes sans utilité, mais nous sommes entièrement là et nous savons que nous sommes nous-mêmes dans la splendeur de la force lumineuse de Dieu.

Moltmann nous parle du Sabbat tel qu’il est vécu pratiquement dans la vie quotidienne juive. Dans les églises chrétiennes, à l’exception de l’Eglise adventiste, la fête hebdomadaire est passée du septième jour de la semaine au premier. Ce changement a une signification symbolique profonde. Le jour nouveau marque la célébration de la résurrection du Christ le huitième jour, c’est à dire le jour qui suit le sabbat juif. Du repos du passé à la jubilation de la résurrection, le dimanche chrétien est aussi la fête de la création. La résurrection du Christ inaugure la nouvelle création de toute chose.

La jubilation de la résurrection.

Après avoir retracé les évolutions intervenues durant les premiers siècles du christianisme, Jürgen Moltmann caractérise le « jour chrétien de fête comme la célébration de la résurrection du Christ et, avec cela, « l’annihilation de la mort à travers le commencement d’une nouvelle création dans laquelle il n’y aura plus de mort. « Tandis que le sabbat juif nous amène à regarder en arrière au commencement de la création, la fête chrétienne est tournée vers l’avenir de la création… Tandis que le sabbat amène les participants à partager le repos de Dieu, la fête de la résurrection nous fait partager la puissance de la vie divine » (p 235).     Cependant, il est nécessaire d’évoquer la connection entre les deux célébrations parce qu’une confusion est intervenue lorsque le jour de la fête chrétienne a coïncidé avec le jour romain du soleil. D’autre part, si la piété occidentale met l’accent sur la rédemption du péché à travers le don de Jésus et sa victoire sur la mort dans la résurrection, dans la piété orthodoxe, l’accent est mis sur l’annihilation de la mort et la transformation de la création.
Face aux catastrophes qui assombrissent le monde humain, il est important de proclamer « la jubilation cosmique ». Celle-ci débouche sur une éthique de vie et de justice. L’exubérance de la joie de Pâques porte l’espérance dans l’avenir divin » (p 237).

La paix au milieu du conflit.

« Dans le Sabbat, une paix devient possible dans l’agitation du temps. La proximité de Dieu qui se repose en lui-même suscite une atmosphère de tranquillité. Dans la fête de la résurrection du Christ, nous avons aussi l’expérience de la résurrection dans la vie en dépit de toute la violence de la mort » (p 238). En plus de la tranquillité du Sabbat et de la jubilation de Pâques, nous pouvons ajouter un troisième don : la paix, pas seulement la paix qui met fin au conflit, mais aussi la paix, qui, au milieu du conflit, nous permet d’amener ce conflit vers une juste issue » (p 238). En théologie, cela s’appelle la réconciliation. « La réconciliation met fin à l’hostilité et rend possible le commencement d’une communauté » (p 238). Selon l’épître aux Ephésiens (Chap 2), à travers le don de Jésus à la croix, Dieu a engendré la paix entre les juifs et les gentils, entre les hommes. Dans le même mouvement, selon l’épître aux Colossiens (Chap 1), cette réconciliation intervient également dans le cosmos. Dans la dimension humaine comme dans la dimension cosmique, il est important de percevoir que « la paix a déjà été réalisée par Dieu. Pour les hommes, la seule chose nécessaire est d’accepter qu’elle est déjà là et de la reconnaître ». « Dieu était avec Christ et a réconcilié le cosmos avec lui-même » (2 Cor 3.19) (p 238). Ainsi, nous dit Moltmann, même si cela paraît contraire aux apparences, en profondeur « la paix divine règne déjà » (p 238). « Comme la paix de Dieu réside dans l’univers, elle est présente dans les profondeurs de l’existence humaine ». Comme l’écrit Thomas Merton, nous pouvons trouver cette paix à travers la contemplation. En Philippiens (4.5), Paul proclame que « le Seigneur est proche ». « Proche ! Mais dans quelle mesure ? Aussi proche que Christ réside en nous. Selon Augustin, Dieu est plus proche de nous que nous pouvons l’être à nous-même. En conséquence, Augustin nous dit de nous retirer en nous-même. La vérité habite dans l’homme intérieur » (p 239).

Alors, nous dit Moltmann, dans un moment tranquille, un temps de méditation, nous laissons de côté nos préoccupations et nous entrons dans le calme. Nous atteignons un lieu paisible profond et caché (« hidden resting-point »). Ce lieu est également une source de vie. « Le plus près nous approchons de ce lieu, plus la paix en nous grandit, et plus que cela, une joie immense s’empare de nous ». Cette transformation ne concerne pas seulement notre cœur, mais nos cinq sens. Ainsi nous nous ouvrons davantage au monde. « Ceux qui ont trouvé Christ dans leur être intérieur, peuvent s’oublier et sortir d’eux-mêmes sans se perdre » (p 239).

Chemins de méditation.

Dans ces chapitres qui concluent son livre sur « l’éthique de l’espérance » (« Ethics of hope »), Jürgen Moltmann partage ainsi une vision qui est pour nous une source de méditation. Il nous propose des représentations qui forment notre regard sur Dieu, sur le monde et sur nous-même. Déjà, dans un petit livre publié en français dès 1977 : « Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre » » (3), Jürgen Moltmann nous invitait à la gratuité dans le jeu et le loisir. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30). Ainsi, il nous appelle « à rendre gloire au vrai Dieu et à se réjouir de l’existence de Dieu et de la sienne propre, car tout ceci a déjà en soi son sens. La joie est le sens de la vie humaine, la joie dans la reconnaissance et la reconnaissance comme joie » (p 43). Cet éloge de la gratuité est d’autant plus éloquent qu’il vient d’un homme qui fonde l’engagement dans le monde sur la base d’une théologie de l’espérance.

En concluant son livre sur l’éthique de l’espérance par des chapitres regroupés sous le titre de la joie en Dieu, Moltmann nous propose les voies d’un ressourcement intérieur qui nous permettra d’éviter une agitation activiste. Chacun pourra y découvrir des apports correspondants à ses questions et ses aspirations.

Ainsi, dans la réflexion sur le sabbat, il y a un appel à sortir d’une logique utilitariste, à prendre du recul, à contempler. On rejoint la gratuité évoquée par Moltmann dans « Le Seigneur de la danse ». En prenant en compte tous les bienfaits de Dieu qui résultent de son œuvre créatrice et peuvent être appréciés dans notre existence, nous voici dans la gratitude, dans la reconnaissance, dans l’émerveillement.  Comme l’artiste, nous pouvons apprécier les œuvres que Dieu nous a donné de réaliser et l’en remercier.

Jürgen Moltmann sait aussi nous montrer en quoi la résurrection de Christ est pour nous, pour l’humanité, pour l’univers, la source d’une extraordinaire libération , mais aussi l’ouverture d’un avenir nouveau capable de nous émerveiller. Ainsi, pour désigner les sentiments que ce phénomène peut évoquer en nous, Moltmann n’hésite pas à employer un terme très fort, le terme de « jubilation ». Et, dans d’autres textes qu’il nous propose par ailleurs, il sait montrer en quoi il y a bien dans ce mouvement une source d’émerveillement. On pourra méditer, par exemple, le très beau texte : « la fête de la vie éternelle » (4) qui termine, comme un point d’orgue, « Le rire de l’univers » (5), recueil de textes de Jürgen Moltmann présenté comme un « traité de christianisme écologique ».

Nous voici donc appelé à la louange. Et enfin, dans le chapitre sur la paix, nous sommes conduits à découvrir combien celle-ci nous est offerte, déjà présente. Elle est donc là, à notre portée si nous faisons mouvement pour la découvrir.

Au total, la réflexion de Jürgen Moltmann sur les bienfaits de la présence de Dieu, nous révèle un grand potentiel pour notre transformation intérieure en sachant que Dieu nous aime et fait pour nous des « projets de bonheur » (Jérémie 29.11).

Jean Hassenforder

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  1. Moltmann (Jürgen). Ethics of hope . Fortress Press, 2012. Traduit à partir de l’édition allemande : Ethik der Hoffnung, 2010.
  2. Part 5. Joy in God. Aesthetic counterpoints. p 229-239 in Ethics of hope.
  3. Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1977 (Foi vivante)
  4. « La résurrection du Christ manifeste la plénitude de Dieu » : article écrit à partir du texte : « La fête de la vie éternelle » p 142-144, dans : « Le rire de l’Univers ». Mis en ligne en 2008 sur le site de Témoins  https://www.temoins.com/reflexion-paques-manifeste-la-plenitude-de-dieu/
  5. Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique . Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004