Participer à l’œuvre de Dieu

Au cours de l’histoire, aujourd’hui encore, certains milieux chrétiens se sont désintéressés des problèmes de la société et du monde en se référant à une théologie qui se polarisait sur le salut des âmes. A l’inverse, fascinés par la vie collective de l’humanité et les besoins des plus pauvres, d’autres chrétiens se sont engagés dans les luttes sociales et politiques en y perdant parfois leur spécificité spirituelle. Ainsi la manière dont on se représente Dieu et son œuvre, la destinée de l’homme et de l’humanité, a un effet considérable sur les attitudes et les comportements. La théologie de l’espérance développée par Jürgen Moltmann nous permet d’éviter les dérives extrémistes et les oppositions caricaturales.

Le projet de Dieu concerne à la fois l’homme tout entier, la communauté humaine dans son ensemble, et la nature elle-même. « Une espérance de Dieu limitée à la conscience immédiate de soi n’est pas une expérience de Dieu qui dans la Sagesse est appelé « Celui qui aime la vie » (p.63)…Moltmann propose une doctrine intégrale de Dieu: « Intégrale à deux points de vue au moins : D’une part au regard de l’intégralité de l’homme qui inclut l’âme et le corps, la conscience et ce qui est inconscient, la personne et la communauté et les institutions de la société, d’autre part au regard de la totalité de la communauté de la création qui inclut les hommes et la terre avec toutes les autres créatures… » (p.63). C’est une vision globale, unifiée qui permet de dépasser les divisions arbitraires. C’est aussi une pensée qui s’appuie sur la dynamique biblique de l’Exode et de la Résurrection.

Cette approche s’applique à des situations différentes. Ainsi la pensée de Moltmann a été reconnue à la fois par des catholiques engagées en Amérique latine dans les luttes pour la justice en faveur des pauvres et le responsable d’une grande église pentecôtiste en Corée. Effectivement, Jürgen Moltmann a pu mettre en valeur les aspects positifs que comportait la théologie de la libération telle qu’elle s’est développée en Amérique latine dans les années 60 et 70.

« Le point de départ de cette théologie n’est pas la théorie, mais la pratique, et plus précisément la pratique d’un peuple pauvre qui souffre de la violence et de l’injustice ».

Quelles sont les grandes orientations de cette théologie ? « Deux conceptions sont importantes… D’une part, l’expérience historique de Dieu et ensuite la mise en perspective de la libération et de la rédemption et leur médiation » (p.155).

« Face aux théologies métaphysiques, la théologie de la libération prend comme point de départ l’histoire en tant qu’elle est l’espace de la révélation de Dieu et de la rencontre humaine avec Dieu ». Ainsi, dans le contexte d’une histoire référée à l’avenir, elle s’appuie sur l’expérience biblique : l’œuvre libératrice de Dieu dans l’histoire d’Israël. « Dieu de l’Exode. Dieu de la Résurrection ». Et, par ailleurs, dans cette perspective, « le Dieu de l’histoire est en route vers son Royaume.. Le Royaume de Dieu qui modifie le monde et qui est devant nous devient plus important que le ciel religieux au dessus de nous. Sa prophétie l’emporte sur le fatalisme religieux et suscite cette liberté qui, au delà du présent, marche vers l’avenir » (p.157).

De même, il n’y a plus de séparation entre l’univers orienté vers le salut des âmes et l’univers orienté vers une action de promotion humaine. « La perspective historique unifiée qui se réfère à Dieu et au Royaume de Dieu implique logiquement une perspective unifiée qui se réfère à des libérations et à la rédemption… Il n’existe pas deux histoires différentes : une histoire du monde et une histoire du salut, mais dans l’histoire du salut, il s’agit de tout ce monde créé… Chaque regard sur le Christ montre que la rédemption englobe toutes les dimensions de l’être et mène à son accomplissement l’histoire toute entière… «  (p. 157, 158). Et, dans ce mouvement, Dieu accompagne et soutient ceux qui y participent comme c’est déjà le cas dans le récit de l’Exode.

Jürgen Moltmann nous invite à « voir » l’œuvre de l’Esprit, à discerner les signes de son action dans notre vie personnelle. « Qu’est ce que Dieu a en vue pour moi ? Qu’est ce qu’il me dit à travers les choses qui arrivent dans mon univers et quelle est ma réponse ? » (In the end..the beginning. p.85). Cette attitude de veille et d’observation vaut également dans notre vie en société. Nous pouvons reconnaître l’œuvre de Dieu et la voir dans la perspective de ce qu’il prépare pour nous. « Les expériences historiques de Dieu sont alors des anticipations du Royaume, de même que le Royaume sera l’accomplissement des expériences historiques de Dieu » (p.167).

Ainsi, notre engagement, quelque en soit le cadre, s’inscrit dans la vision de Dieu et nous y renvoie.

J.H.

Source :
Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. The life of hope. Fortress Press, 2004.