Les grands malheurs de l’histoire.
Telle que nous l’observons, l’histoire comporte de multiples aspects positifs ou négatifs. Mais on ne manque pas d’y percevoir de grands malheurs, particulièrement les guerres, les déportations, les génocides. A cet égard, la Shoah, le massacre des juifs par le régime hitlérien est emblématique. Ce malheur est inscrit aujourd’hui dans la mémoire collective. Mais il y a bien d’autres situations où des peuples ont été victimes de la barbarie. Et, par exemple, comment ne pas être interpellé par la déportation et l’exploitation des noirs soumis à l’esclavage ? Comment ne pas ressentir avec les chrétiens engagés dans « l’Association chrétienne pour l’abolition de la torture » (ACAT), le poids de la violence collective ? Dans toutes ces situations, la puissance du mal apparaît. Nous vivons dans un entre-deux où l’œuvre de Christ est en cours, mais rencontre encore de grands obstacles. C’est dire la portée de la prière figurant dans le « Notre Père » : « Délivre nous du mal ».
Cependant, dans ces situations extrêmes, Dieu n’est pas absent. En tant que théologien allemand, Jürgen Moltmann est particulièrement sensible à la souffrance des juifs dans l’Allemagne hitlérienne. Dans ses livres, il nous apporte une réflexion particulièrement éclairante sur l’œuvre de Dieu dans ces malheurs collectifs.
En effet, selon Jürgen Moltmann, engagé dans une théologie de l’espérance, le mal n’a pas le dernier mot. Dans sa justice, Dieu est à l’œuvre pour rendre justice aux victimes, les sauver et les guérir, et, dans le même temps pour rectifier et transformer les persécuteurs. La demande de pardon requise des auteurs du mal n’est qu’un aspect du problème. La question est plus vaste. « Comment pouvons-nous être libérés non seulement du mal que nous avons commis, mais aussi du mal dont nous avons souffert et qui ne peut être oublié parce qu’il laisse des traces dans les corps et dans les âmes ? » (p.53). Il y a les bourreaux, mais il y a aussi les victimes. Et parfois, les situations s’enchevêtrent. Ainsi, « la justice doit être rendu des deux côtés. La justice doit être rendu aux victimes et les persécuteurs doivent être transformés, remis sur la bonne voie » (p.53). La demande de pardon, sur laquelle l’Eglise s’est longtemps focalisée, n’est donc qu’un aspect de la demande, beaucoup plus vaste : « Délivre nous du mal ».
« Dans l’expérience de la délivrance du mal, nous reconnaissons la bonté créatrice et recréatrice de Dieu. Dieu juste engendre la justice et nous permet de la reconnaître. Ainsi, Il nous libère pour un nouveau commencement ».
Jürgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de l’injustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « S’il n’y avait pas de Dieu, qu’arriverait-il à ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).
Ainsi, les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.
A travers la résurrection de Jésus-Christ, l’histoire change de visage. A la croix, Jésus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnés de Dieu. Il libère les hommes du péché et de la culpabilité. « A travers la puissance de vie de sa résurrection, Il entraîne à la fois les victimes et les persécuteurs dans une relation juste avec Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle s’étend à la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagés dans un immense processus. « La création nouvelle de Dieu apparaît déjà aujourd’hui au milieu d’un monde encore marqué par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis à Dieu » et qu’ainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).
Face aux malheurs de l’histoire, nous pouvons ainsi les considérer dans toute la souffrance qui s’en exhale. Et, en même temps, ne pas nous enfermer dans cette mémoire. Et, de la même façon, nous n’y enfermerons pas ceux qui sont morts dans cette situation, car Dieu poursuit son œuvre. Dieu est un Dieu de justice. Il déploie une puissance infinie dans un processus de libération, déjà aujourd’hui en cours, et qui triomphera définitivement dans l’avènement de la nouvelle création. « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. Il n’y aura plus de mort, il n’y aura plus ni deuil, ni lamentation, ni douleur. En effet, les choses anciennes auront disparu ». (Apo 21.4)
Jean Hassenforder
Source
Chapitre : Deliver us from evil : God’s righteousness and justice, and the rebirth of life. Jürgen Moltmann. In the end…the beginning ; Fortress Press, 2004.